I. Comment définir l’IA ?

Pour commencer, nous nous familiariserons avec le concept d’IA en nous penchant sur sa définition et en prenant quelques exemples.

Comme vous l’avez sans doute remarqué, l’IA est un sujet d’une actualité brûlante, quasiment incontournable dans les médias et le débat public. Toutefois, il ne vous a peut-être pas échappé que le terme IA n’a pas la même signification pour tout le monde. Pour certains, l’IA désigne des formes de vie artificielle qui peuvent surpasser l’intelligence humaine, tandis que pour d’autres, toute technologie de traitement de données, ou presque, peut être qualifiée d’IA. Pour planter le décor, nous évoquerons ce qu’est l’IA, la manière dont elle peut être définie, ainsi que les domaines ou technologies qui lui sont étroitement liés. Avant cela, intéressons- nous à trois applications de l’IA qui en illustrent différentes facettes. Nous reviendrons sur ces applications tout au long de la formation pour approfondir notre compréhension.

deux voitures autonomes

Application 1. Les voitures autonomes

Les voitures autonomes doivent combiner différentes techniques d’IA : recherche et planification pour trouver l’itinéraire le plus approprié entre le point A et le point B, vision par ordinateur pour déterminer les obstacles, et prise de décision en cas d’incertitude pour faire face à un environnement complexe et dynamique. Chacune de ces techniques doit fonctionner avec une précision quasi parfaite pour éviter les accidents. Ces mêmes technologies sont utilisées dans d’autres systèmes autonomes comme les robots de livraison, les drones et les navires autonomes.

Conséquences : la sécurité routière devrait, à terme, être améliorée, étant donné que la fiabilité des systèmes dépasse celle de l’humain. L’efficacité des chaînes logistiques dans le transport de marchandises devrait progresser. L’homme devient superviseur, il garde un œil sur ce qui se passe alors que la conduite est confiée aux machines. Étant donné l’importance du transport dans notre vie quotidienne, il est probable que nous n’ayons pas encore pensé à toutes les conséquences possibles.

main tenant un téléphone portable

Application 2. Recommandation de contenu

Une grande partie des informations auxquelles nous sommes confrontés chaque jour sont personnalisées. Il peut s’agir de contenus sur Facebook, Twitter, Instagram ou d’autres médias sociaux ; de publicités en ligne ; de recommandations musicales sur Spotify ; de recommandations de films sur Netflix, HBO et d’autres services de diffusion en continu. De nombreux éditeurs en ligne, tels que les sites web de journaux ou de chaînes de télévision, ainsi que les moteurs de recherche comme Google, personnalisent également le contenu qu’ils proposent.

Si la une de la version imprimée du New York Times ou du China Daily est la même pour tous les lecteurs, la page d’accueil de la version en ligne est différente pour chaque utilisateur. Les algorithmes qui déterminent le contenu que vous voyez sont basés sur l’IA.

Conséquences : même si la plupart des entreprises ne souhaitent pas révéler les détails de leurs algorithmes, le fait de connaître les principes de base peut vous aider à comprendre les conséquences possibles qui peuvent concerner les bulles de filtres (filter bubbles), les chambres d’écho, les usines à trolls, les infox (fake news) et les nouvelles formes de propagande.

visage de femme

Application 3. Traitement de l’image et de la vidéo

La reconnaissance faciale est déjà utilisée dans de nombreuses applications grand public, professionnelles et administratives, qui permettent d’organiser des photos en fonction des personnes qui y figurent, d’effectuer un marquage automatique sur les médias sociaux ou de contrôler les passeports. Des techniques similaires peuvent être utilisées pour reconnaître d’autres véhicules et des obstacles autour d’une voiture autonome ou pour estimer les populations d’espèces sauvages, pour ne citer que quelques exemples.

L’IA peut aussi être utilisée pour générer ou modifier des contenus visuels. Parmi les applications déjà utilisées aujourd’hui, citons le transfert de style, grâce auquel vous pouvez modifier vos photos personnelles de façon à leur donner l’apparence de toiles de Vincent van Gogh, et les personnages de synthèse dans des films tels qu’Avatar, Le Seigneur des anneaux ou des films d’animation de Pixar, dans lesquels des personnages animés reproduisent les gestes d’acteurs humains.

Conséquences : du fait des progrès de ces techniques et de leur diffusion, il sera facile de créer de fausses vidéos d’événements impossibles à distinguer des images réelles. Cela remet en question l’idée selon laquelle «on ne croit que ce que l’on voit».

méli-mélo de mots liés à l’IA

Qu’est-ce qui est de l’IA et qu’est-ce qui n’en est pas ? Ce n’est pas une question facile !

La popularité de l’IA dans les médias est en partie due au fait que les gens ont commencé à utiliser ce terme pour désigner des choses qui, avant, portaient d’autres noms. Cela peut aller des statistiques et de l’analyse économique aux règles de codage manuel «si-alors». Mais pourquoi ? Pourquoi la perception de l’IA par le grand public est-elle si floue ? Voici quelques raisons.

Raison 1 : pas de définition officielle

Même les chercheurs en IA n’ont pas de définition précise de leur discipline. Le domaine est redéfini au fur et à mesure que certains sujets sont classés comme non-IA et que de nouveaux sujets apparaissent.

Chez les geeks circule une vieille blague qui définit l’IA comme «tout ce qui est cool et que les ordinateurs ne sont pas capables de faire». L’ironie tient au fait que, si l’on s’en tient à cette définition, l’IA ne peut jamais progresser : dès qu’il existe un moyen de faire quelque chose de cool avec un ordinateur, cela cesse d’être de l’IA. Cependant, tout n’est pas faux dans cette définition. Il y a cinquante ans, par exemple, on considérait que les méthodes automatiques de recherche et de planification relevaient de l’IA. Aujourd’hui, ces méthodes sont enseignées à tous les étudiants en informatique. De même, le niveau d’assimilation de certaines méthodes de traitement des informations incertaines est aujourd’hui tel qu’elles pourraient très bientôt ne plus être considérées comme relevant de l’IA, mais plutôt des statistiques ou des probabilités.

Raison 2 : l’héritage de la science-fiction

La confusion sur la signification de «IA» est aggravée par les représentations de l’IA présentées dans de nombreux romans ou films de science-fiction. Les récits de science-fiction mettent souvent en scène des serviteurs humanoïdes amicaux, sources d’informations ultra détaillées ou auteurs de dialogues spirituels et drôles, mais qui peuvent parfois, à l’image de Pinocchio, commencer à se demander s’ils ne pourraient pas devenir humains. Ils présentent aussi une autre catégorie d’êtres humanoïdes, qui nourrit de sinistres desseins et se retourne contre ses maîtres, dans l’esprit des apprentis sorciers des récits anciens, remontant jusqu’au Golem de Prague et au-delà.

Souvent, le côté robot de ces créatures n’est qu’un mince vernis qui vient recouvrir leur nature très proche de celle de l’humain. Cela est dû au fait que le lecteur doit pouvoir se reconnaître dans la plupart des fictions, même en science-fiction, sans quoi il pourrait se sentir frustré au contact d’intelligences trop différentes et étranges. La majeure partie de la science-fiction est donc plutôt une métaphore de la condition humaine actuelle, et les robots peuvent être considérés comme des substituts des catégories sociales réprimées, ou peut-être comme une illustration de notre recherche du sens de la vie.

Raison 3 : ce qui semble facile est en réalité difficile...

Ce qui complique encore les choses quand on tente de comprendre l’IA, c’est qu’il n’est pas simple de déterminer quelles tâches sont faciles et lesquelles sont difficiles. Regardez autour de vous et prenez un objet dans la main, puis réfléchissez à ce que vous venez de faire : vous avez utilisé vos yeux pour analyser votre environnement, vous avez déterminé l’emplacement des objets que vous pouviez prendre en main, puis choisi l’un d’entre eux et planifié une trajectoire pour que votre main l’atteigne. Ensuite, vous avez bougé la main en contractant différents muscles, dans un certain ordre, et vous avez saisi l’objet avec juste la force nécessaire pour le maintenir entre vos doigts.

Il peut être difficile d’apprécier la complexité de toutes ces actions, mais on peut parfois en prendre conscience lorsque quelque chose ne se passe pas comme prévu : l’objet que vous avez choisi est beaucoup plus lourd ou plus léger que vous ne pensiez, ou quelqu’un ouvre une porte alors que vous atteignez la poignée, et vous voilà sérieusement déstabilisé. En général, ce type de tâches semble ne pas exiger d’effort, mais ce sentiment de facilité résulte en fait de millions d’années d’évolution et de plusieurs années de pratique pendant l’enfance.

Aussi facile que cela semble pour vous, pour un robot, saisir un objet est extrêmement difficile et c’est un domaine dans lequel les activités de recherche sont nombreuses. Parmi les exemples récents, on peut citer le projet Google de préhension robotisée, et un robot cueilleur de choux-fleurs.

... et ce qui paraît difficile est finalement facile

En revanche, jouer aux échecs ou résoudre des exercices mathématiques peuvent sembler des tâches très difficiles, nécessitant des années de pratique avant de les maîtriser, mobilisant nos «facultés supérieures» et une réflexion consciente. Il n’est pas surprenant que les premières études en matière d’IA se soient concentrées sur ces types de tâches qui, à l’époque, semblaient renfermer l’essence même de l’intelligence.

Il s’est avéré depuis que jouer aux échecs est une activité tout à fait adaptée aux ordinateurs, qui n’ont qu’à suivre des règles assez simples et calculer les multiples possibilités de déplacement à un rythme de plusieurs milliards de calculs par seconde. Les ordinateurs ont battu le champion du monde d’échecs en titre lors des fameux matchs entre Deep Blue et Kasparov in 1997. Et dire que, pour le robot, le problème le plus complexe était de saisir les pièces et de les déplacer sur l’échiquier sans les faire tomber ! Nous étudierons, au chapitre 2, les techniques utilisées pour jouer à des jeux comme les échecs ou le morpion.

De même, si la maîtrise approfondie des mathématiques exige une intuition et une ingéniosité (qui semblent être) typiquement humaines, bon nombre d’exercices de collège ou de lycée (mais pas tous) peuvent être résolus par l’application d’un calculateur et d’un ensemble de règles simples.

Quelle meilleure définition proposer ?

Pour mieux définir l’IA qu’en évoquant «ce que les ordinateurs ne peuvent pas encore faire», il faudrait plutôt énumérer les caractéristiques propres à l’IA, en l’occurrence l’autonomie et l’adaptabilité.

Terminologie clé

Autonomie

Capacité d’exécuter des tâches dans des environnements complexes, sans guidage constant de la part d’un utilisateur.

Adaptabilité

Capacité d’améliorer les performances grâce à l’apprentissage par l’expérience.

Les mots peuvent induire en erreur

Il faut se montrer prudent lorsqu’on définit l’IA ou qu’on en parle, car les mots utilisés peuvent induire en erreur. Les exemples les plus courants sont «apprentissage», «compréhension» et «intelligence».

Vous pouvez dire, par exemple, qu’un système est intelligent, peut-être parce qu’il fournit des instructions de navigation précises ou détecte des signes de mélanome sur des photographies de lésions cutanées. Lorsque nous entendons le mot «intelligent» dans une telle affirmation, nous pourrions penser que le système est en mesure d’accomplir toute tâche qu’une personne intelligente est capable de réaliser : aller à l’épicerie et préparer le dîner, laver et plier le linge, etc.

De même, lorsque nous disons qu’un système de vision par ordinateur «comprend» les images parce qu’il est capable de segmenter une image en objets distincts tels que les autres voitures, les piétons, les bâtiments, la route, etc., nous pourrions penser que le système comprend également que, même si une personne porte un tee-shirt sur lequel est imprimée une route, on ne peut pas emprunter cette route-là (et rouler sur la personne...). Dans les deux cas mentionnés plus haut, nous aurions tort.

Note

Faites attention aux «mots-valises».

Marvin Minsky, chercheur en sciences cognitives et l’un des plus grands pionniers de l’IA, a inventé le terme «mot-valise» pour désigner des mots qui véhiculent un ensemble d’acceptions différentes, même si nous n’en envisageons qu’une seule. L’utilisation de ces termes accroît le risque de mauvaises interprétations telles que celles mentionnées ci-dessus.

Il est important de se rendre compte que l’intelligence n’est pas une dimension unique comme la température. Vous pouvez comparer la température d’hier à celle d’aujourd’hui, ou la température d’Helsinki, à celle de Rome, et indiquer laquelle est la plus élevée et laquelle est la plus basse. Nous avons même tendance à penser qu’il est possible de classer les personnes en fonction de leur intelligence, c’est ce que le quotient intellectuel (QI) est censé faire. Toutefois, dans le contexte de l’IA, il est évident que l’intelligence de différents systèmes d’IA ne peut pas être comparée sur un seul axe ou dans une seule dimension. Un algorithme pour jouer aux échecs est-il plus intelligent qu’un filtre antispam, ou un système de recommandation de musiques qu’une voiture autonome ? Ces questions n’ont aucun sens. En effet, l’intelligence artificielle est étroite (nous reviendrons sur la signification de l’IA étroite à la fin de ce chapitre) : sa capacité de résoudre un problème ne nous dit rien de sa capacité d’en résoudre d’autres.

Pourquoi on peut parler d’«une pincée d’IA», mais pas d’«une IA»

La distinction entre l’IA et ce qui n’en est pas ne se fait pas de façon dichotomique : si certaines méthodes relèvent manifestement de l’IA et d’autres pas, il existe également des méthodes qui impliquent une pincée d’IA, comme quand on ajoute une pincée de sel. Il serait donc parfois plus approprié de parler de «propriétés d’IA» plutôt que de chercher à savoir si quelque chose est ou non de l’IA.

Note

«IA» n’est pas un nom comptable

Lorsqu’on parle d’IA, il faudrait éviter d’utiliser ce terme comme substantif comptable : une IA, deux IA, etc. L’IA est une discipline scientifique, comme les mathématiques ou la biologie. L’IA est donc une collection de concepts, de problèmes et de méthodes pour les résoudre.

Parce que l’IA est une discipline, on ne peut pas dire «une IA», tout comme on ne dit pas «une biologie». Il faut également garder cela à l’esprit quand on emploie une expression telle que «nous avons besoin de ces intelligences artificielles». Cela ne sonne pas bien, n’est-ce pas ? (En tout cas, pas à nos oreilles).

En dépit de nos conseils, l’utilisation du terme «IA» comme nom comptable est très courante. Prenez, par exemple, le titre Une IA apprend à détecter des signes de diabète grâce à des données provenant de dispositifs portables, qui est par ailleurs plutôt bon, puisqu’il souligne l’importance des données et indique clairement que le système ne peut que détecter des signes de diabète et non poser un diagnostic ou prendre des décisions de traitement. De même, on ne peut absolument pas dire L’intelligence artificielle de Google a conçu une IA plus efficace que toutes celles conçues par l’homme, ce qui est l’un des titres les plus trompeurs qu’on ait jamais vus sur le sujet (à noter que ce n’est pas un titre de Google Research).

L’utilisation du terme «IA» comme nom comptable n’est, bien sûr, pas si grave si ce que l’on dit a par ailleurs un sens, mais si vous voulez parler comme un pro, évitez de dire «une IA» et parlez plutôt d’«une méthode d’IA».

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